Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/138

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considération et du désintéressement. Le bout de cela est que lui personnellement est mort ruiné, et que son fils a été obligé de payer ses dettes qui étoient grandes, et sur les fins de le faire subsister. Ce n’est pas qu’avec de l’économie du fils et du petit-fils il ne leur soit demeuré des biens immenses des successions de Lesdiguières et de Retz ; mais ce n’a pas été la faute des désordres du maréchal.

C’étoit un homme qui n’avoit point de sens, et qui n’avoit d’esprit que celui que lui en avoit donné l’usage du grand monde, au milieu duquel il étoit né et avoit passé une très longue vie. On a eu si souvent occasion de parler de lui, qu’il suffit ici de faire souvenir de ce caractère, de l’orgueil dont il étoit pétri, que ses fréquentes et cruelles déconvenues, toutes arrivées par faute de sens, n’avoient pu émousser, et de l’éclat où les passions et l’intérêt de Mme de Maintenon et de M. du Maine l’avoient mis dans les derniers temps de la vie du feu roi, surtout à sa mort, qui avoit porté cet orgueil à son comble. Depuis qu’il se vit dans les places où cette mort l’établit et dans la considération qui en étoit une suite, la tête lui tourna : il se crut le père, le protecteur du roi, l’ange tutélaire de la France, et l’homme unique en devoir et en situation de faire en tout contre au régent.

Sa fatuité lui avoit fabriqué un autre devoir qui fut d’épouser contre ce prince toute la haine de la Maintenon, sa patronne, et toute la mauvaise volonté qu’elle avoit arrachée contre lui du roi mourant. Il s’applaudit sans cesse des démarches infatigables que le régent faisoit vers lui, qui ne faisoient que rehausser son courage à lui nuire ; il abusoit continuellement de la confiance et de la facilité à condescendre à tout ce qu’il vouloit d’un régent doux, timide, qui redoutoit les éclats, à qui ses grands airs avec feu Monsieur, et en commandant les armées où M. le duc d’Orléans avoit commencé à servir, lui avoient imposé au point qu’il lui imposoit toujours. Ainsi ce prince vouloit et croyoit le gagner