Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/139

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à force de flatter son incroyable vanité, et d’aller au-devant de tout ce qui lui pouvoit plaire, sans jamais lui rien refuser pour les siens ni pour personne ; tandis que, déterminé à figurer en grand aux dépens du régent, ce qu’il ne croyoit pas possible autrement, il s’unissoit à tous ses ennemis, à ceux que l’ambition ou l’amour des nouveautés rendoient tels, les excitoit, les encourageoit, les grossissoit pour se former un parti ; et pour cela, très attentif à un apparent désintéressement qui augmentât sa réputation et la confiance, tellement que, par principes, il étoit incapable d’être arrêté par les grâces et les bienfaits de M. le duc d’Orléans. En le refusant des cinquante mille livres de rente sur Lyon, il ne refusoit rien en effet ; mais il suivoit son plan : il se donnoit un éclat propre à éblouir la multitude, surtout le parlement en particulier et la robe en général qu’il cultivoit soigneusement, à s’attacher des partisans, à augmenter la confiance de ceux qu’il vouloit capter, à blâmer avec l’autorité de ce refus et de la manière la plus publique, et en apparence la plus innocente, la facile prodigalité du régent, et sans en demeurer plus pauvre.

De tout temps ses pères, son oncle et lui étoient maîtres absolus et uniques à Lyon. Dès les temps du feu roi les intendants n’y avoient pas la plus légère inspection. L’autorité du maréchal y étoit encore plus devenue sans bornes dans une régence qui ne songeoit qu’à lui plaire, et à aller au-devant de tout à son égard. De tout temps il étoit, après ses pères et son oncle, en possession de nommer seul le prévôt des marchands de Lyon, qui avoit tout le pouvoir bursal dans la ville, sans inspecteur ni conseiller. Il disposoit seul sous le maréchal de Villeroy des immenses revenus de la ville, d’en diriger de même tout le commerce, et d’y être le maître des commerçants. Il ne comptoit de la recette et de la dépense de ces immenses revenus, qu’avec le maréchal de Villeroy seul, et les comptes ainsi arrêtés entre eux deux seuls, où le maréchal étoit de droit le maître, ne se trouvoient plus,