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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/237

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la science ; et de plus Law, avec un langage fort écossois, avoit le rare don de s’expliquer d’une façon si nette, si claire, si intelligible, qu’il ne laissoit rien à désirer pour se faire parfaitement entendre et comprendre.

M. le duc d’Orléans l’aimoit et le goûtoit. Il le regardoit et tout ce qu’il faisoit comme l’ouvrage de sa création. Il aimoit de plus les voies extraordinaires et détournées, et il s’y attachoit d’autant plus volontiers, qu’il voyoit échapper les ressources devenues si nécessaires à l’État, et toutes les opérations ordinaires des finances. Ce goût du régent blessoit Noailles comme étant pris à ses dépens. Il vouloit être seul maître dans les finances. Law y avoit une partie indépendante. Cette partie plaisoit au régent, et Noailles qui le prétendoit gouverner et atteindre par là au premier ministère, dont il ne perdit jamais les vues ni l’espérance, trouvoit en Law un obstacle dans sa propre gestion, lui qui empiétoit tant qu’il pouvoit sur toutes celles des autres. Toutes ses bassesses sans fin et sans mesure prodiguées au maréchal de Villeroy n’avoient pu l’accoutumer à n’être que de nom à la tête du conseil des finances. Ainsi il protégeoit souvent Law contre lui, encore qu’il n’aimât pas au fond ce que le régent pouvoit rendre utile, et qu’il fomentât sous main les mouvements sourdement commencés du parlement, à qui il falloit des prétextes, et qui se proposoit bien de s’en faire un de la gestion des finances et de la singularité de celle de cet étranger.

L’abbé Dubois, qui, pour regagner l’esprit de M. le duc d’Orléans, avoit eu besoin d’entours, ne se fut pas plutôt emparé de lui par ses négociations avec l’Angleterre et la Hollande, que ceux dont il s’étoit servi lui devinrent suspects dès que son crédit n’eut plus besoin du leur. Son plan alloit aussi au premier ministère. Il n’y vouloit point de concurrents ni de contradicteurs. Celui de tous qu’il craignoit davantage étoit le duc de Noailles, parce qu’il avoit le même dessein et bien d’autres moyens que lui pour s’y porter.