Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/238

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Il résolut donc de l’écarter de bonne heure sans rien marquer de personnel. La partie eût été trop inégale, et d’ailleurs la soumission du duc de Noailles, qui augmentoit pour lui à la mesure du crédit qu’il reprenoit auprès de son maître lui en ôtait jusqu’au prétexte. On a vu combien pour lui plaire il avoit mérité les louanges des Anglois. Dubois se lia donc avec Law. Leurs intérêts à former cette union étoient pareils. Un étranger, aboyé d’un nombre de gens autorisés par leur être, par leur état, par leurs places, avoit à chaque instant tout à craindre de la faiblesse du régent. En le favorisant Dubois flattoit le goût de son maître et portoit indirectement des bottes à Noailles qu’il vouloit perdre, sans oser le montrer et sans que Noailles s’en doutât lui-même, ni dans ces commencements le régent non plus avec tous ses soupçons. Tout se passoit à cet égard dans un intérieur que tout l’art de Noailles ne pouvoit percer.

Law ne me cacha point cette liaison naissante et l’usage qu’il commençoit à en tirer, mais il ne me disoit pas ce qu’il lui en coûtoit pour l’accroître et pour la rendre tout à fait solide. Il commençoit à avoir de l’argent à répandre par ce négoce naissant, si connu depuis et si fatal par l’abus qui s’en fit sous le nom de Mississipi. Il étoit doux à l’abbé Dubois de trouver une ressource secrète dont il n’eût obligation à personne qu’à celui qui avoit autant d’intérêt, pour sa propre défense, d’acheter sa protection, que de lui l’accorder à ce prix et les moyens en même temps d’énerver de bonne heure un compétiteur à la première place de toute autorité et de toute grandeur, à la cheville du pied duquel il ne pouvoit encore atteindre.

Telle fut la chaîne qui serra l’amitié entre ces deux hommes et qui les a portés si haut ou si loin l’un et l’autre. Je ne sais si, à travers les ruses et les caresses de Dubois, Noailles s’aperçut de quelque chose, car l’odorat de tous les deux étoit bien fin. Ce qui me l’a fait soupçonner, c’est ce qui m’arriva et qui, à la façon dont j’étois avec le duc de