Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/245

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conservé, malgré sa pauvreté, beaucoup de considération et de crédit, qu’il entretenoit par beaucoup d’esprit et de manèges. Homme obscur, très glorieux de sa grande naissance, toujours travaillant en dessous sans se commettre, lié sourdement avec des personnages et avec la maison de Lorraine, plein des plus hautes pensées et des plus grands projets, heureux à se faire des dupes par son langage, ennemi de tout gouvernement, désireux de faire jouer des mines, et peu retenu par l’honneur, la probité, la vérité, sous le masque des plus vertueux propos. Tout se cuisoit de loin en Bretagne. On y flattoit les Bretons d’une conquête d’indépendance qui ne seroit due qu’à leur union et à leur fermeté. Rieux étoit à Paris leur homme de confiance ; ils ne pouvoient la placer mieux, par l’intérêt qu’il avoit, et qu’il se proposoit de faire tout à coup une grande figure, et il avoit assez d’esprit pour y parvenir, quoiqu’il n’eût jamais vu la guerre, ni la cour, ni le grand monde, si l’affaire eût réussi.

La noblesse de Bretagne écrivit une lettre au régent, soumise et respectueuse en apparence, plus que forte en effet, dont les copies inondèrent Paris. Deux présidents et quatre conseillers, députés du parlement de Bretagne, arrivèrent avec une lettre de, ce parlement au régent, en même sens que celle de la noblesse. Ces députés furent admis, après plusieurs jours, à faire la révérence au régent, mais sans lui parler d’aucune affaire. Le maréchal de Montesquiou, commandant en Bretagne, en avoit plusieurs de procédés avec ce parlement, qui en cherchoit et entreprenoit. Le maréchal, de son côté, avoit très mal débuté avec la noblesse. Quatre ou cinq cents gentilshommes étoient allés au-devant de lui à quelque distance de Dinan. Au lieu de s’arrêter à eux, et de monter à cheval pour entrer avec eux à Rennes, il se contenta de mettre la tête hors sa chaise de poste, et de continuer son chemin. La noblesse, avec raison, en fut extrêmement choquée. Néanmoins il en alla un grand nombre