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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/303

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qu’il n’y a rien à y ajouter, sinon qu’il mourut dans une grande piété et dans un grand âge pour une machine aussi contrefaite et aussi cacochyme qu’étoit la sienne, que son savoir et son incroyable sobriété avoient su conduire si loin, toujours dans le travail et dans l’étude. Il fut surprenant qu’à la liaison intime et l’entière confiance qui avoit toujours été entre Mme de Maintenon et lui, qui l’avoit fait premier médecin, et toujours soutenu sa faveur, ils ne se soient jamais vus depuis la mort du roi.

On a vu, t. IV, p. 209, le caractère de l’abbé d’Estrées, et il a été parlé de lui et de ses emplois en plusieurs autres endroits. Il jouissoit d’une belle santé dans un âge à profiter longtemps de sa fortune et de l’archevêché de Cambrai, dont il attendoit les bulles, lorsqu’il fut surpris d’une inflammation d’entrailles pour s’être opiniâtré à prendre, sans aucun besoin, des remèdes d’un empirique, par précaution, duquel il s’étoit entêté. Un mieux marqué le persuada si bien que son mal n’étoit rien, qu’il nous donna à plusieurs un grand et bon dîner ; mais sur le point de se mettre à table avec nous, les douleurs le reprirent. Néanmoins il voulut nous voir dîner. Peu de moments après que le fruit fut servi, l’extrême changement de son visage nous pressa de le laisser en liberté de penser sérieusement à lui. Une heure après, le cardinal de Noailles, qui en fut averti, vint l’y disposer. Il eut peu de temps à se reconnoître, mais il en profita bien. Il fit son testament de ce dont il n’avoit pas encore disposé, reçut ses sacrements le lendemain, et mourut la nuit suivante. Cette mort découvrit des dispositions secrètes, qui n’étoient pas nouvelles, dont son ambition et l’avidité des Noailles furent accusées. Le maréchal d’Estrées et ses sœurs furent très scandalisés de ces dispositions de leur frère à leur insu et à leur préjudice. Leur vanité aussi n’en fut pas moins offensée de sentir qu’il eût cru devoir acheter une protection, dont leur nom et leur considération ne devoit pas avoir besoin, et dont l’alliance des Noailles, dont le maréchal