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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/51

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Je consentis donc enfin, mais avec une répugnance extrême, et à condition encore que le duc de Noailles se placeroit au plus loin de moi, sans quoi je leur déclarai que je sortirois de table. Ils s’en chargèrent, et cela fut exécuté. Le dîner fut grand et bon, et tout m’y montra qu’on étoit aise que j’y fusse demeuré. Le duc de Noailles y parut, tout désinvolte qu’il est, fort empêtré. Il voulut pourtant un peu bavarder ; mais on voyoit qu’il avoit peine à dire. Vers le milieu du repas, il se trouva mal ou en fit le semblant, et passa dans une autre chambre. Un moment après, la chancelière l’alla voir et revint se mettre à table. Personne autre n’en sortit ni ne marqua de soins que le chancelier, qui y envoya une fois ou deux. On dit que c’étoit des vapeurs, et finalement il acheva de dîner dans cette chambre plus à son aise qu’il n’eût apparemment fait à table. Je n’en sourcillai jamais. Il se retrouva avec la compagnie à prendre du café, et peu après nous nous remîmes en séance, où il rapporta comme si de rien n’eût été. Je fus fort remercié de la compagnie, et particulièrement du chancelier et de la chancelière d’être demeuré à dîner, et je ne cachai à personne que ç’avoit été un vrai sacrifice de ma part, dont l’absence du duc de Noailles m’avoit fort soulagé dans la dernière moitié du repas. Ce dîner avec lui, ce qui s’étoit répandu que j’étois souvent de son avis, et grossi, dont lui-même étoit bien homme à s’être paré, fit courir quelque bruit que nous étions raccommodés, qui fut bientôt détruit par la continuité de la façon dont j’en usais avec lui. Ce fut la seule fois qu’il y eut comité matin et soir. Ils redoublèrent d’après-dînée et de longueur. Je crus que le chancelier n’avoit pas voulu, et sagement, nous exposer, le duc de Noailles et moi, à l’inconvénient d’un second dîner.

Le travail achevé, et tous les avis à peu près réunis sur chaque point, j’allai voir le chancelier en particulier. Je lui dis que je venois lui communiquer une pensée que je n’avois pas voulu hasarder dans le comité, raisonner avec lui, et,