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DE JOSEPH DELORME.

leur esprit, et ils en ont beaucoup[1], à obscurcir les questions. Ne pouvant rompre la chaîne de certaines idées, ils se plaisent à l’embrouiller ; faisons-leur toucher au doigt deux ou dois anneaux ; et après cela qu’ils nient encore, s’ils le veulent obstinément.

1° L’alexandrin de Ronsard, de Baïf, de Régnier, est-il au fond le même que celui d’André Chénier ? Évidemment oui.

2° L’alexandrin d’André Chénier est-il celui de Racine ? Évidemment non.

3° Est-il davantage celui de Delille ? Pas le moins du monde.

4° Or, maintenant, l’alexandrin de l’école moderne ressemble-t-il à l’alexandrin d’André Chénier plus qu’à celui de Racine ou qu’à celui de Delille ? Évidemment oui.

La question une fois posée et résolue en ces termes, hâtons-nous d’ajouter que les poëtes modernes n’y mettent pas plus d’importance qu’il ne convient. On a commencé par les accuser de mépriser la forme ; maintenant on leur reproche d’en être esclaves. Le fait est qu’ils tiennent à la fois au fond et à la forme ; mais, celle-ci une fois trouvée, comme elle l’est aujourd’hui, ils n’ont plus guère à s’en inquiéter, et les chicanes que l’école critique soulève à ce propos ressemblent à une escarmouche d’arrière-garde, quand la tête de la colonne est passée.


VI

Outre les circonstances matérielles de coupes et d’enjambements qui distinguent l’alexandrin moderne de l’ancien, il y a

  1. Cette pensée, ainsi que la XIVe, s’adressait à des critiques voisins et d’ailleurs amis, notamment à ceux du Globe qui, tout en favorisant devant le public les tentatives de l’école poétique, la surveillaient de côté, la harcelaient même et lui décochaient mainte objection. Joseph Delorme en avait pris un peu d’impatience.