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PENSÉES D’AOÛT.

« — Oh ! tout n’est rien, dit-il, sans Celui qui console.
« Je les sais d’humeur calme, assez laborieux,
« Rangés par intérêt, mais non pas vertueux ;
« Mais plus de Christ pour eux passé quinze ans, madame ! —
« Ainsi souvent dit-il dans le cri de son âme. »

Et cet automne-là, c’est tout ce que je sus.
Mais l’automne prochain, retournant, j’aperçus
En entrant à la messe, au bord du cimetière,
Debout et blanche aux yeux, une nouvelle pierre,
Où je lus : « Monsieur Jean ci-git enseveli,
« Mort à quatre-vingts ans, son exil accompli. »
Et le reste du jour, à partir de l’église,
Comme nous fûmes seuls, j’écoutai la Marquise,
Qui, cette fois, m’ouvrit les secrets absolus
Du mort qu’elle pleurait. Elle-même n’est plus,
Je transmets à mon tour : il en est temps encore ;
Assez d’échos bruyants ; disons ce qu’on ignore !

Depuis trois ans le siècle atteignait son milieu,
Quand un soir, aux Enfants-Trouvés, près l’Hôtel-Dieu,
Un pauvre enfant de plus fut mis. Il eut nourrice
Dès le lendemain même, et partit pour Saint-Brice,
Où demeurait la femme à qui son sort échut.
Cette femme à l’enfant, dès qu’elle le reçut,
S’attacha, le nourrit d’un lait moins mercenaire,
Puis le voulut garder, et lui fut une mère,
Ayant changé d’endroit, elle vint où l’on sait.
La Présidente de…, qui tous les ans passait
Six mois à son château, put connaître de reste
La femme que louait ce dévoûment modeste ;
Et l’enfant grandissait, objet de plus d’un soin.
La sage-femme aussi venait de loin en loin ;
Car, au lieu de le perdre au gouffre de misère,