Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/488

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
166
PENSÉES D’AOÛT.

De première amitié, tout au moins fraternelle,
Qu’un si cher intérêt avait gravés en elle.

À dater du départ, un long espace fuit.
Monsieur Antoine meurt, la Présidente suit ;
Madame de Cicé devient épouse et veuve ;
Lui, voyage toujours et mène son épreuve,
Soit en France, en visite aux amis que j’ai dits,
Soit bientôt, ses désirs saintement agrandis,
En Suisse, pour y voir cette éternelle scène,
Majestueux rochers où le tirait sa chaîne.
Il semble qu’en son cœur, dès ce temps, il fit vœu
De partout repasser, humble, aux sillons de feu,
Aux pas où le génie avait forcé mesure,
Et d’y semer parfum, aumône, action sûre.
Souvent il demeurait en un lieu plus d’un an,
Y vivant de travail, y couronnant son plan.
Puis reprenait à pied sa fatigue bénie.
La guerre, en Amérique, à peine était finie ;
Il se hâta d’aller, avide dans son choix
Des pratiques vertus de ces peuples sans rois,
Heureux s’il y trouvait un exemple fertile
De ce Contrat fameux ! — Imaginez Émile
Nourri de Saint-Cyran, élève de Singlin,
Venant aux fils de Penn, aux neveux de Franklin.
Il les aima, si francs et simples dans leur force ;
Mais, discernant dès lors l’intérêt sous l’écorce,
Il ne vit point Éden par de la l’Océan.
C’est vers ce temps qu’il prit ce nom de monsieur Jean,
Un nom qui fût un nom aussi peu que possible,
Et qui pourtant tenait par un reste sensible
À celui qui partout si haut retentissait.
La Révolution qui chez nous avançait,
Ballottant ce grand nom dans mille échos sonores,