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NOTES ET SONNETS.

Elle suivait toujours. Que faire ? À chaque claie,
À chaque croisement et clôture de haie
Je passais, et du cri, du geste la chassant,
Je refermais l’endroit d’un triple osier puissant ;
Mais, à moitié du pré, regardais-je en arrière :
À huit pas lestement suivait l’aventurière,
D’un air de brouter l’herbe et les rhododendrons :
Mes pierres n’y faisaient et ne semblaient affronts.
J’enrageais. Autrefois, la bête opiniâtre
N’eût semblé que déesse et que nymphe folâtre :
J’y voyais, vers Paris malgré moi reporté,
Le malheur d’être aimé de certaine beauté.
Elle ne quittait pas ! Après mainte montagne,
Pour couper court enfin à ma vive compagne,
Et par l’idée aussi du pâtre au désespoir,
Quand il la chercherait vainement sur le soir,
J’avisai dans un pré la rencontre prochaine
D’une vieille faneuse à qui je dis ma peine,
Et qui, prenant en main la corne rudement,
Cria : Bête mauvaise ! et finit mon tourment.

À la montagne ainsi, quand vous gagnez le faite,
Tout vous suit, tout du moins vous regarde et s’arrête.
L’esprit lutin des monts s’en mêle, je le veux,
Mais aussi l’esprit bon, naïf et curieux.
Le montagnard d’abord vous questionne et cause ;
Le papillon sur vous, comme à la fleur, se pose,
Loin du doigt meurtrier et de l’enfant malin ;
L’abeille, à votre front, cherche un calice plein ;
L’insecte vous obsède, et la vache étonnée
Interrompt sa pâture à demi ruminée,
Lève un naseau béant, et, tant qu’on soit monté,
Suit longtemps et de l’œil dans l’immobilité.