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NOTES ET SONNETS.

Que par delà Chillon, surtout amoncelé,
Le bleu sombre et dormant de monts en monts s’étage ;

Quand tous ces grands géants, resserrés au passage,
Figurent les confins d’un monde reculé,
Les derniers murs d’acier d’une antique Thulé,
Ou les gardiens muets d’un éternel orage !

Attrait immense et sourd ! pas une ride aux flots,
Pas un souffle à la nue, au front pas une haleine !
Quel plus grand fond de rêve à la douleur humaine ?

Ô Byron, Beethoven, retenez vos sanglots !
— Et du prochain buisson, tandis qu’au loin je pense,
L’aigre chant du grillon emplit seul le silence.


III


Ou soit même en hiver, sous les frimas durcis,
Même aux plus mornes jours, sans qu’un rayon s’y voie,
Sans que du ciel au lac un reflet se renvoie
Pour les vulgaires yeux du seul éclat saisis,

Oh ! pour le cœur amer aux pensers obscurcis
Et pour tout exilé qui ressonge à sa joie,
Oh ! qu’ils sont beaux encor ces grands monts de Savoie,
Vus des bords où, rêveur, tant de fois je m’assis !

Leur neige avec sa ride est fixe en ma mémoire,
Sombre dans sa blancheur, vaste gravure noire,
Comme d’un front creusé qui dans l’ombre a souffert !

Plus je les contemplais et plus j’y pouvais lire