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PORT-ROYAL

exactement entre eux dans ce premier moment et leurs paroles mêmes, on ne le sait qu’à peu près, car tout le monde du dedans s’était retiré, laissant le colloque s’accomplir décisif et solennel. M. Arnauld commandait d’ouvrir : la mère Angélique dut tout d’abord prier son père d’entrer dans le petit parloir d’à côté, afin qu’à travers la grille elle lui pût parler commodément et se donner l’honneur de lui justifier ses résolutions. Mais M. Arnauld n’entendit pas deux fois cette prière. Il tombe des nues à une telle audace dans la bouche de sa fille, il s’emporte et frappe plus violemment, redoublant son ordre avec menace. Madame Arnauld, qui était à deux pas, se mêle aux reproches, et appelle sa fille une ingrate. M. d'Andilly, dans tout son feu d’alors, le prend encore plus haut que les autres ; il s’écrie au monstre et au parricide comme aurait fait son père dans un plaidoyer ; il interpelle les religieuses absentes, les exhorte à ne pas souffrir qu’un homme comme son père, une famille comme la leur, à qui elles ont tant d’obligations de toutes sortes, essuie chez elles un tel affront. Les apostrophes et le bruit croissant commençaient à retentir au réfectoire. Celles des religieuses qui étaient selon l’esprit de la Mère s’entre-regardaient avec anxiété, et priaient Dieu en leur coeur qu’il la fortifiât ; d’autres, moins régénérées, n’y pouvaient tenir, et éclataient ouvertement pour M. Arnauld. La bonne vieille sœur Morel, celle même à qui nous avons vu tant d’attache pour son petit jardin, dont elle ne rendit la clef qu’à toute extrémité, et qui probablement ne l’avait pas encore rendue alors, s’écriait : C’est une honte de ne pas ouvrir à M. Arnauld ! Les femmes de journée, qui se trouvaient dans la cour, prenaient également parti, et se laissaient aller à des murmures contre l’ingratitude de madame l’abbesse.

Dans tout ce bruit pourtant, M. Arnauld, voyant qu’il n’arrivait pas à ses fins, s’avisa de demander qu’on lui