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PORT-ROYAL

où il y avoit des cabinets pour donner la collation ; et ce qui prouve plus que toute chose que le dérèglement dans cette maison n’étoit pas personnel, mais passé en une coutume bien établie, c’est que les jours d’été qu’il faisoit beau temps, après avoir dit Vêpres et Complies tout de suite, le plus à la hâte qu’elles pouvoient, la prieure menoit tout le couvent, hors de l’abbaye, se promener sur les étangs qui sont sur le grand chemin de Paris, où souvent les moines de Saint-Martin de Pontoise, qui en sont tout proches, venoient danser avec ces religieuses, et cela avec la même liberté qu’on feroit la chose du monde où l’on trouveroit moins à redire.»

La mère Angélique et ses sœurs tombèrent là comme de nouvelles créatures arrivées d’un nouveau monde. Quel art il lui fallut pour gagner sans révolte à la règle ces cœurs noyés de mollesse ! Elle s’adressa d’abord aux anciennes qu’elle avait connues étant petite, et tâcha par mille égards de les apprivoiser doucement, d’obtenir d’elles l’assentiment au moins à la réforme extérieure et de bonnes apparences. Mais, comprenant qu’il n’y avait guère plus à espérer de celles-ci pour le moment et que la vie spirituelle éteinte ne pouvait sitôt renaître, tout son soin fut d’introduire de nouvelles filles, plutôt pauvres, de les former jour et nuit, et, par cette masse intègre et pure, d’enlever, de soulever l’autre, de régénérer le vieux levain. Elle en reçut en tout trente ou trente-deux. Elle se rompait la poitrine, est-il dit, aussi bien que ses filles, pour tâcher de couvrir par leur chant au chœur, dit avec révérence, le chant indévot des anciennes : image touchante qui nous représente sensiblement toute la lutte continue de ces années ! elles ne furent pas sans grands événements d’ailleurs et sans aventure.

Elle vit pendant son séjour à Maubuisson saint François de Sales, qui y fît plusieurs voyages auxquels nous viendrons tout à l’heure ; mais, aux environs et au sortir