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LIVRE PREMIER.

Seulement, à cette conviction sombre mêlant la ruse et l’habileté dont sont capables même les esprits restés un peu barbares, il attendait l’heure de faire sa sortie et couvait le secret avec prudence.

Pour ne pas charger Jansénius toutefois et ne pas rester ici avec lui sur une impression trop fâcheuse, en attendant que j’y revienne avec quelque détail, j’ajouterai aussitôt ce qui peut aider à l’idée complète qu’on s’en doit former. Nature de forte trempe et d’un acier mal poli, il était capable de bien des sortes d’emplois. Ce lecteur insatiable et vorace de saint Augustin était un négociateur habile : deux fois, en 1624 et en 1626, il fut envoyé par l’Université de Louvain en Espagne pour s’opposer aux prétentions des Jésuites qui voulaient acquérir à leur Collège les privilèges universitaires : il s’acquitta de cette mission avec adresse, fermeté, et grande considération pour lui-même. Son occupation principale aux livres ne l’empêchait pas d’avoir l’œil aux choses du monde et à la politique d’alentour. En 1633, consulté pendant la guerre par les seigneurs de Flandre, qui voyaient le pays ouvert à l’invasion hollandaise et peu secouru de l’Espagne, son avis fut qu’en conscience on aurait pu secouer le joug espagnol, traiter directement avec la Hollande, et se cantonner à la manière des Suisses[1]. On lui a fait dans le temps, et Petitot lui a refait de nos jours, un crime de cette solution hardie : ce n’est certes pas nous qui la lui reprocherons. Il proposait dans cette

  1. Voir dans les Opuscules du Père Daniel, in-4o, t. III, p. 222, la lettre de l’abbé de Saint-Germain à M. de Chaumontel, contre Jansénius. Cet abbé de Saint-Germain, nommé de Mourgues, provençal, attaché comme aumônier à la reine-mère, l’avait suivie dans sa retraite à Bruxelles, et lançait de là maint pamphlet contre Richelieu : il vit beaucoup alors Jansénius, mais n’en parla point amicalement depuis, lorsque, rentré en France, il fut interrogé par les Jésuites. Rapin avait souvent causé avec lui aux Incurables, où l’abbé de Mourgues, sur la fin, s’était retiré.