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PORT-ROYAL.

consacrés et courait par les Saints Pères, qu’on juge de l’indignation des vrais docteurs ! M. de Saint-Cyran crut que le respect de l’Église y était intéressé, et qu’un tel livre déshonorait la Majesté de Dieu : il dénonça à fond, dans la Somme des fautes, les falsifications et méprises de tout genre dont s’était rendu coupable l’inconsidéré. Les Jésuites, avertis de cette réfutation qui se préparait (Garasse s’en était, à l’avance, procuré sous main les feuilles), essayèrent, mais en vain, d’en entraver la publication et d’intimider l’imprimeur ; ils se virent obligés bientôt d’abandonner le fâcheux confrère, dont la Somme fut censurée vigoureusement par la Faculté de théologie. Ils en gardèrent une longue rancune à l’auteur présumé de la réfutation ; et Bayle, en badin qu’il est, parlant de cette origine des longs démêlés théologiques, a pu dire joliment qu’on veut qu’à cause de cela le Père Garasse ait été l’Hélène de cette guerre. Hélène à part, Port-Royal, à coup sûr, en fut l’Ilion, un Ilion livré au fer et aux flammes, et dont les ruines mêmes ont péri[1].

  1. Nicole a raconté cette première affaire au long dans la troisième lettre de ses Imaginaires : mais il faut entendre tout le monde ; le Père Rapin la retourne à sa manière. D’abord le Père Garasse, selon lui, n’aurait pas frappé si à faux en s’attaquant aux athées ; c’était le moment de la grande vogue du poète Théophile, qui s’était fait tout un parti parmi les jeunes courtisans, les Montmorency, les Liancourt, les Clermont, et qui avait été jusqu’à lire son Hymne à la Nature en pleine cour du Louvre. Le Père Garasse sonna l’alarme. S’il se donna tant de mouvement pour faire brûler Théophile, il était bon homme d’ailleurs, et se réconcilia (chose rare) avec tous ceux presque qui avaient écrit contre lui : il eût fini par embrasser Saint-Cyran même, si celui-ci avait été de ces gens qu’on embrasse. Il ne manquait pas de génie, disent également Bayle et Rapin : ce dernier ajoute qu’il avait même étudié la langue et ne la savait pas mal. Son mauvais goût est en grande partie celui du temps, et ce qu’il met en sus prouve de l’imagination naturelle. Balzac en faisait cas et lui écrivait cet éloge hyperbolique qu’on lit en tête de la Somme : «Il ne tiendra pas à M. de Malherbe ni à moi que vous n’ayez rang parmi les Pères