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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/370

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PORT-ROYAL.

d’outre-passer les ordres de Dieu, en faisant de sa tête et par un mouvement précipité quelques grandes œuvres pour lui : il n’y a point de plus grande humilité que de faire pour lui quelques grandes œuvres, en se tenant dans les moyens et dans les ordres qu’il nous a prescrits.» Et c’était dans la Grâce et dans sa lumière au sein de la prière qu’il discernait ces ordres divins, comme l’œil voit jusqu’à un atome dans le plein soleil. De peur de se repaître des œuvres accomplies, il avait pour maxime, quand une chose était faite, de la perdre en Dieu. L’humilité était pour lui un grand but auquel il s’efforçait d’autant plus d’arriver que, sans doute, en chemin sa nature un peu haute et revêche se rebellait parfois ; il employait toutes ses forces et son art spirituel (la Grâce aidant) pour y atteindre en se baissant bien bas, en se diminuant tout doucement. Il considérait l’humilité (ce sont ses propres termes) comme l'ombre que ceux qui courent plus fort n’attrapent point pour cela, et il ne croyait pas qu’il y eût un meilleur moyen de la posséder, que d’arrêter son activité naturelle pour s’anéantir en soi-même, et que de se tourner tellement vêts le soleil divin, et si en plein dans le juste sens de son rayon, que toute ombre autour de nous disparût. — Il se rappelait souvent et surtout qu’il fallait bien se donner de garde de cette ambition secrète qui porte insensiblement à vouloir dominer sur les âmes et à se les approprier ; qu’elle était infiniment plus grande et plus périlleuse que celle des princes de la terre qui ne dominent que sur les biens et sur le corps ; que l’orgueil de ceux-ci était un orgueil des enfants d’Adam, mais que l’orgueil des autres, étant plus spirituel, tenait plus de celui du Démon, de l’Ange (superbia vitæ). Il disait et rappelait sans cesse que, si grands que soient les hommes qui nous conduisent, la lumière que nous recevons ne peut venir que de Dieu, selon ce beau mot