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LIVRE DEUXIÈME.

de saint Augustin : «Homo., venit ad te lux per montes; sed Deus te illuminat, non montes : Oh Homme, la lumière te vient des montagnes ; mais c’est Dieu et son soleil qui t’éclaire, ce n’est pas la montagne.» Nous commençons à voir, ce me semble, M. de Saint-Cyran se former et comme se configurer pleinement sous notre regard[1].

Puisque la haie du difficile verger est franchie, je courrai encore à travers quelques-unes de ses saintes maximes, où une énergique beauté et vérité me paraissent empreintes. Il disait : «L’âme d’un Chrétien ne peut demeurer en un même état ; il faut qu’à tous moments elle s’élève vers le Ciel ou se rabaisse vers la terre.»

Il disait : «Dieu ne possédant nul bien temporel, et en étant, pour le dire ainsi, dépouillé, les possède tous d’une manière suréminente, comme la mer possède les eaux des fleuves et des fontaines, c’est-à-dire dans sa sainteté et dans ses biens de Grâce et de Gloire, qui sont une même chose avec son essence. L’homme juste, après s’être dépouillé de tous les désirs et de tous les biens temporels de la terre, les possède plus excellemment dans ceux de la Grâce que Dieu lui a donnés. »

«Aussi on ne sauroit mieux définir la Grâce en abrégé que de dire que c’est un empire et une souveraineté sur toutes les choses du monde.»

N’y a-t-il pas de quoi contempler dans cette pensée toute la fierté et la gloire permise de l’humble pauvreté chrétienne, sa secrète revanche ?

En voici quelques autres qui, à la réflexion, devien-

  1. Sur la conciliation du zèle pour la vérité et de l'humilité, on peut lire sa lettre à M. Guillebert, p. 101 et 115. (Lettres chrétiennes et spirituelles, 1744, 2 vol. in-12.)