Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
358
PORT-ROYAL.

dront fécondes, et qui, entre saint Augustin et Bossuet, renferment leur philosophie de l’histoire aussi :

«Il y avoit lors très-peu de personnes d’entre les Juifs (paucissimi, dit saint Augustin, qui n’a pu user d’un nom plus diminuant) à qui Dieu donnât les biens spirituels : il y en a maintenant très-peu d’entre les Chrétiens à qui il donne les biens temporels.»

«Ce corps est moins à l’homme qu’il n’étoit avant l’Incarnation, parce que Jésus-Christ se l’est approprié de nouveau en le rachetant.»

«L’Évangile qui a ruiné l’adoration des créatures, a donné sujet d’augmenter, par un événement étrange, l’affection des créatures en plusieurs de ceux qui font profession de lui obéir».[1]

Ces pensées, qui ont toute la beauté aphoristique propre à un Hippocrate ou à un Marc-Aurèle chrétien, sont tirées la plupart d’un petit écrit sur la Pauvreté[2], vertu dont M. de Saint-Cyran était très-préoccupé, y ramenant tout l’Évangile. Car on peut dire que Port-Royal, avec Saint-Cyran, avec ses religieuses et ses solitaires, de même qu’il a été un redoublement de foi à la divinité de Jésus-Christ par pressentiment d’opposition au prochain déisme philosophique, de même qu’il a été un redoublement de foi à l’omnipotence de la Grâce par pressentiment d’opposition à la prochaine exaltation de la liberté humaine, a été encore comme un dernier redoublement de pratique et d’intelligence de la pauvreté chrétienne par pressentiment d’opposition à la

  1. En effet, depuis l'Évangile, l’idolâtrie brisée en bloc s’est comme retrouvée en monnaie courante chez les Chrétiens.
  2. Au tome quatrième des Œuvres chrétiennes et spirituelles de messire Jean du Verger, etc., etc., 4 vol. in-12, Lyon, 1679. — En lisant saint Augustin, il ne faudrait pas s’étonner d’y rencontrer quelques-unes de ces pensées, comme il se rencontre du Pascal tout pur dans Montaigne.