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LIVRE DEUXIÈME.

Cyran était imbu de cette parole de l’Apôtre aux Corinthiens[1]: «Or, il y a diversité de dons, mais il n’y a qu’un même Esprit ; il y a aussi diversité de ministères, mais il n’y a qu’un même Seigneur,» nous mène naturellement à l’entendre, lorsqu’il contraignit presque à l’exercice du Sacerdoce et de la direction des âmes M. Singlin, qui n’était pas un grand théologien ni un savant, mais qui avait le propre don.

Avant de passer à cet admirable tête-à-tête, qu’on me permette d’offrir deux ou trois pensées encore de Saint-Cyran que je trouve mêlées à ses considérations sur le Sacerdoce, et qui s’y rapportent plus ou moins prochainement : deux ou trois vases sacrés richement jetés aux abords de l’autel.

Immensité de Dieu : «Ceux qui n’ont vu pendant toute leur vie que des rivières, et qui ont entrepris sur la fin de leur vie un grand voyage, sont épouvantés, lorsqu’ils entrent par l’embouchure de la dernière rivière dans la grande Mer Océane, de voir sa monstrueuse grandeur, sa tempête et sa bonace, dont ils n’avoient pu voir auparavant la moindre image : c’est ce qui nous arrivera, lorsqu’après avoir passé durant le cours de notre vie par tant de temps et tant de lieux de la terre, qui sont plus coulants et changeants en comparaison du Ciel que les rivières, nous verrons en entrant en Dieu même, à la fin de notre vie (qui est le terme de notre voyage), sa prodigieuse grandeur.» — Tous les mots, tout le mouvement, même pénible et démesurément continu, de cette phrase, exprime bien, en effet, et respire et aspire, pour ainsi parler, l’admiration et la grandeur.

Voici qui est plus fin et bien délié sur les fuites et les refuites de l’âme ; il n’est pas si malaisé, pense Saint-Cyran, d’ébranler une âme par des conseils, par la pré-

  1. Ep. I, ch. XII, V. 4.