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PORT-ROYAL.

Son interrogatoire n’eut lieu que le vendredi 14 mai 1639, un an juste après son arrestation ; il le subit pardevant Jacques Lescot prêtre, docteur en théologie ; car il avait récusé Laubardemont, comme n’étant pas juge ecclésiastique. On voulait convaincre M. de Saint-Cyran d’hérésie, de Calvinisme, à cause de ses doctrines sur la Grâce et sur les œuvres, et de ce qu’il aurait dit que depuis six cents ans il n’y avait plus d’Église, que le Concile de Trente était sans autorité, etc., etc. ; on avait ramassé à ce sujet, depuis un an, les témoignages et dépositions de M. Zamet, de l’abbé de Prières[1], de l’abbé de Foix, Caulet, depuis évêque de Pamiers et janséniste jusqu’au martyre, alors ennemi, bon homme au demeurant, mais petite tête, à qui Vincent de Paul avait un jour conseillé de ne pas voir M. de Saint-Cyran comme pouvant lui être dangereux[2]. Dans l’absence de toute

  1. Cet abbé de Prières, témoin à charge, tint bon jusqu’à la fin de sa vie dans son opinion et dans son dire. Voici ce que M. Le Camus, évêque de Grenoble, qui l’avait connu, écrivait à M. de Pontchâteau, un jour qu’il était question entre eux des Lettres publiées de M. Saint-Cyran : « Le défunt abbé de Prières, qui, au fond, étoit très-bon et très-sage religieux, m’a dit autrefois qu’il n’y a rien de plus opposé que la conduite de MM. de Port-Royal et celle de feu M. de Saint-Cyran, et que ses Lettres n’ont aucun rapport avec ses manières de s’expliquer. Pour moi, qui ne l’ai point connu, je n’en peux pas porter de jugement ; mais, pour ses Lettres, jamais livre ne m’a plus porté à Dieu que celui-là : c’est l’abrégé de tout ce qu’il y a de plus touchant dans les Pères de l’Église. (22 mai 1676.) » Évidemment, il y avait en M. de Saint-Cyran plus de contrastes et de saillies en sens divers que n’en pouvait comprendre cet honnête abbé de Prières.
  2. Les actes officiels de l’information, qui ont été imprimés par les adversaires (dans les nouvelles et anciennes Reliques de M. Jean du Verger… 1680, in-4o ; ou dans le Progrès du Jansénisme découvert…, 1655, in-4o), n’ont rien, après tout, de si aggravant contre M. de Saint-Cyran. Ce sont, la plupart du temps, des propos trop absolus et mal compris, des mots couverts et prudents (occulte propter metum Judaeorum), méchamment ou bêtement interprétés. Dans les délations de l’avocat Le Tardif, frère de la mère Geneviève Le Tardif, ancien domestique de