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LIVRE DEUXIÈME.

pièce positive, on s’armait surtout d’une lettre de M. de Saint-Cyran à M. Vincent : celui-ci avait eu l’indiscrétion d’en parler autrefois à un domestique du Cardinal, et le Cardinal informé le força de la produire. On y voit qu’en 1637 une assez grave dissidence s’était élevée entre les deux saints personnages, que M. Vincent était venu faire reproche à M. de Saint-Cyran sut quatre points de doctrine, tout juste dans le temps de cette tracasserie pour la maison du Saint-Sacrement, et que l’homme de doctrine, ainsi frappé à bout portant, avait été très-ému : il s’était contenu dans le moment même ; c’est là-dessus qu’après plus d’un mois il lui écrivait cette lettre pour décharger son cœur, pour se justifier des points reprochés et se plaindre surtout du procédé de la part d’un

    M. de Saint-Cyran et l’un des témoins le plus à charge, une certaine histoire hétéroclite de l’oncle qui tue son neveu et ne juge pas à propos de s’en confesser, m’a tout l’air d’une de ces plaisanteries théologiques que M. de Saint-Cyran se put permettre quelque soir à la veillée, comme une réminiscence de son moins bon temps et de ses paradoxes pour le comte de Cramail et pour l’évêque de Poitiers. Le domestique à moitié endormi entendit de travers et dénatura tout cela après des années. Le résultat des interrogatoires parut si peu probant que, dans une Apologie de Laubardemont qu’on trouva parmi les papiers de ce magistrat et qui est probablement de lui, on voit que, « l’interrogatoire de Saint-Cyran étant rapporté au Roi, Sa Majesté eut agréable, à la sollicitation de plusieurs personnes de qualité, de faire présenter au prisonnier une déclaration conforme à l’opinion et à la pratique commune de l’Église ; et, après cela, délibérer sur sa liberté. » Mais Saint-Cyran se refusa à une signature de désaveu qui eût semblé donner raison aux accusateurs sur le passé. — Quant à la pièce intitulée : le nouvel Ordre monastique des disciples de M. de Saint-Cyran, elle ne peut être acceptée en bonne justice ; on ne sait d’où elle émane, qui l’aurait rédigée et présentée à l’Archevêque, ni en quel temps. Il est possible que Saint-Cyran ait pensé à régulariser une réforme particulière dans l’Ordre de saint Benoît ; mais rien n’indique, et même tout contredit, qu’il ait jamais cru le moment opportun pour la fonder sur de telles bases, avec l’agrément de l’autorité ecclésiastique.