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LIVRE PREMIER

de cette même Cour. Sur un ton approchant, mais avec la différence du pathétique à l’indignation, M. Arnauld répondait en faisant éclater les sanglots de la mère éplorée. Il tirait grand parti d’un vol d’argent que le boulanger avait commis sur la personne de l’assassiné : «Caius Antonius fut accusé de la conjuration de Catilina ; il en fut trouvé innocent. Mais parmi son procès se meslèrent des larrecins qu’il avoit autrefois commis en Macédoine ; cela fut cause de le faire condamner. Et néanmoins l’une des accusations n’avoit rien de commun avec l’autre. En ceste cause l’homicide et le larrecin ont beaucoup de connexité.» M. Arnauld raisonnait moins spécieusement quand, un peu après, il s’écriait sans rire : « Le philosophe Crantor «disoit que celui qui souffre du mal sans en estre cause, est fort soulagé en cet accident de fortune.» Belle consolation que la maxime de Crantor pour ce boulanger torturé ! Pierre Matthieu, qui ne laisse pas d’être sous le charme de ces Démosthènes de France, nous représente, après les deux plaidoyers adverses, les âmes flottantes et les opinions des juges suspendues : «Le discours de l’advocat du Roy, ajoute-t-il, fut la poudre de départ qui sépara le vray du vray-semblable et l’apparence de l’essence.» Et il termine par l’ample et pompeux résumé du procureur-général Servin, qui conclut avec M. Arnauld.

Ce voyage du duc de Savoie à Paris, qui, selon l’heureuse expression de Matthieu,[1]

  1. Matthieu est un écrivain d’imagination ; on essaie depuis quelque temps de le remettre en honneur. M. Hugo ayant eu occasion de consulter, pour sa Notre-Dame de Paris, L’Histoire de Louis XI, par Matthieu, fut frappé de certains traits d’éclat, et en parla beaucoup autour de lui. Plusieurs critiques de la connaissance du grand poète (et qui sont des poètes eux-mêmes, plutôt que des critiques) partirent de là pour s’occuper de l’historien à titre d’écrivain, et pour faire valoir ses beautés avec une spirituelle