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LIVRE TROISIÈME.

qu’elle errait encore de son vivant : cela est marqué dans ses Écrits en caractères de lumière et de feu. Vous devriez être du même sentiment, monsieur Quesnel ; vous combattez contre vos propres lumières, monsieur Arnauld[1]. Mais, encore un coup, vous avez beau faire ; bon gré mal gré, vous voilà hérétiques tout comme nous ; on vous chasse, sortez avec nous ; vous êtes bien et dûment condamnés selon les règles de Rome[2]. »

De son côté, Pascal n’avait pas dit à Arnauld autre chose, si ce n’est : « Vous êtes et nous sommes bien et dûment condamnés dans les formes, mais l’esprit de cette condamnation est un esprit de mensonge ; tout biais qui mène à s’y soumettre est un acte de lâcheté et de prévarication, et mérite qu’on le flétrisse de son vrai nom, comme abominable devant Dieu et méprisable devant les hommes. » — Et s’il ne concluait pas en disant : Sortons ! il avait pour mot d’ordre : Tenons-nous ferme et crions !

De sorte que Pascal, abandonnant la tactique de ses dix-septième et dix-huitième Provinciales et se rendant compte enfin de la situation, l’envisageant avec toute la lucidité et la franchise de son intelligence, l’exprimant avec toute la concision et la véhémence de sa parole, Pascal n’hésitait pas à confesser bien haut combien la Chrétienté catholique, presque tout entière, était engagée par son Chef dans des voies selon lui parjures, c’est-à-dire qu’il soutenait contre Arnauld sur

  1. Voir Jurieu dans son livre intitulé : L’Esprit de M. Arnauld, tome 1, pages 8, 238, etc., etc. Jurieu l’injurieux (comme dit Voltaire) se trompait en mettant en doute la parfaite sincérité d’Arnauld ; il accordait trop à ses lumières et faisait tort à son cœur.
  2. « Et cur non nobiscum egrediuntur diu Viri optimi, a Papis damnati, a Jesuitis afflicti, pressique intolerabili jugo quod conscientiae libertatem non permittit ?  » (Melchior Leydecker, de Jansenii Vita et Morte, lib. III, cap. X.)