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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/114

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PORT-ROYAL.

Dieu sensible au cœur par la nature[1]. Pour l’histoire, Pascal la savait en chrétien, il l’avait approfondie dans l’Écriture et dans les prophéties, comme Saint-Cyran ; il la serrait de près depuis Adam jusqu’au Messie : mais, une fois le Messie obtenu ainsi qu’une certaine tradition depuis Jésus-Christ, une tradition surtout à l’aide des Conciles, une fois cela su et cru, Pascal laisse le reste aller au vent. Le nez de Cléopâtre plus court ou plus long, le grain de sable de Cromwell, ne lui semblent pas les moindres instruments. Il n’est guère tenté, comme Bossuet, de suivre une loi appréciable de la Providence, un dessein manifeste, jusque par delà et en dehors de cette voie étroite de la révélation ou de la tradition et à travers les orages de l’histoire universelle. Il ne s’arrête nullement à considérer les rapports de la Religion et du Gouvernement politique ; peu lui importe de se figurer l’ensemble des choses humaines roulant sur ces deux pôles, d’y découvrir tout un ordre élevé, étendu, et de tenir ainsi, comme dit le grand Évêque, le fil de toutes les affaires de l’Univers. Ce fil lui paraîtrait plutôt, comme à Montaigne, un écheveau d’erreurs et de folies. Qu’ajouterai-je encore sur ces limites du génie de Pascal ? En physique, là où il excelle, là où il

  1. Ce n’est pas pour faire un raisonnement, c’est pour exprimer une harmonie, que celle des âmes de poètes qui a reçu le plus abondamment, depuis saint François de Sales, le don des symboles et paraboles, Lamartine, a dit dans ses Adieux à la Mer :

    Le Dieu qui décora le monde
    De ton élément gracieux,
    Afin qu’ici tout se réponde,
    Fit les cieux pour briller sur l’onde.
    L’onde pour réfléchir les cieux.

    Quand on croit à un Dieu créateur et providentiel, à un Dieu qui a l’œil sur l’homme et qui lui a préparé sa demeure, pour peu qu’on ait l’imagination sensible, on est amené à voir ainsi toutes choses autour de soi.