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moment où il devenait plus général et plus brillant ; ou plutôt je compris qu’à cet endroit lumineux il ne m’avait jamais appartenu ; tout ce qui est gloire, en effet, fait partie du domaine public : Laus est publica.

Je ne viens pas me plaindre du succès qu’a eu mon sujet ; mais Port-Royal est devenu de mode, c’est là un fait ; et c’est plus que je n’avais espéré, plus même peut-être que je n’aurais désiré, étant de ceux qui évitent soigneusement la foule, et qui aiment avant tout que chaque chose demeure, s’il se peut, fidèle à son esprit. La mode, la concurrence, le bruit me semblaient plutôt des inconvénients en telle matière : ç’avait été, dans le temps, un inconvénient pour Port Royal lui-même ; c’en était un aujourd’hui pour l’historien. Et tout ainsi qu’au milieu de ce triomphe des Provinciales, qui ouvrait si brillamment l’ère de la décadence, M. Singlin se rappelait, avec un inexprimable regret, l’époque plus austère et toute silencieuse de Saint-Cyran, je me rappelais à mon tour, comme l’âge d’or de mon sujet, ce jour où, au milieu d’une conversation avec M. Royer-Gollard, il y a huit ou neuf ans, il s’interrompait tout d’un coup pour me dire : « Nous causons de Port-Royal ; mais savez-vous bien, Monsieur, qu’il n’y a que vous et moi, en ce temps-ci, pour nous occuper de telles choses ? »

Je dus, quoi qu’il en soit, m’arrêter devant le torrent, et attendre qu’il fût dégonflé pour pouvoir continuer ma marche du même pas que devant. Un autre contre-temps, qui eût semblé à de plus empressés un nouvel à-propos, se présenta alors et me