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LIVRE TROISIÈME.

d’alors, à la veille ou au lendemain de Chéronée, de même ici il faut, pour juger pleinement de cette éloquence, nous reporter à la situation religieuse véritable, nous figurer, nous si percés et minés de toutes parts dans nos croyances, ce que c’était alors que d’être accusé de ne pas croire à l’Incarnation et au Saint-Sacrement quand on y croyait, quand on était institué à cette fin d’y veiller sans cesse ; et quelle réalité effective prenaient ces appels si directs à Dieu comme présent chaque jour sur l’autel, comme devant apparaître au jour de colère sur la nuée.

Enfin, pour achever de sentir tout l’effet oratoire et se placer dans les conditions littéraires complètes, un petit effort reste à faire, une petite concession indispensable. Cette dernière et triomphante allusion, cette voix sainte et terrible, qui en ce moment étonne la nature et console l’Église, qu’est-ce autre chose que le miracle dont Port-Royal était alors témoin et sujet, le miracle de la Sainte Épine auquel Pascal croyait, auquel une très-grande partie du public croyait autour de lui, et qu’il nous faut admettre absolument en idée, sous peine de manquer l’à-propos et l’énergie foudroyante du trait ?

Ce qui fait, si j’ose achever toute ma pensée, que Démosthène demeurera toujours plus beau, parce qu’il ne demande pas tant d’efforts à distance, et qu’il agit dans des conditions humaines plus saines et plus naturelles.

Démosthène, dans le sublime, garde cet avantage-là sur Pascal, comme dans l’ironie Platon gardait celui de la grâce.

Mais l’allusion de Pascal nous avertit que nous avons à rentrer au sein de Port-Royal, pour voir ce qui s’y est passé depuis cette oppression d’Arnauid et cette vengeance des petites Lettres. Le succès de celles-ci se traduit dans le monastère autrement que dans le monde, et tout n’y est pas sans grandeur.