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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/183

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LIVRE TROISIÈME.

Enfin la Reine a commandé à l’Assemblée du Clergé de nous pousser à bout, et leur a dit que c’étoit sa propre affaire. Je n’en ai nul ressentiment contre Sa Majesté ; je sais qu’elle croit faire un très-bon œuvre, et qu’on lui persuade sans cesse qu’elle n’en sauroit faire un meilleur. Notre-Seigneur a dit que ceux qui persécuteroient ses serviteurs croiroient rendre service à Dieu. Tout ce que nous avons à désirer est de souffrir en cette qualité, et non pas pour nos crimes. »

C’est alors, c’est dans cette arrière-scène de Port-Royal de plus en plus obscurcie et désolée, et que n’ont pas dû nous dérober les brillantes et valeureuses excursions d’un soudain génie, c’est dans le profond de l’autel qu’un jour, à l’improviste, — le vendredi de la Samaritaine, — le jour précisément où l’on chante à l’introït de la messe ces paroles du Psaume LXXXV : « Fac mecum signum in bonum … Seigneur, faites éclater un prodige en ma faveur, afin que mes ennemis le voient et qu’ils soient confondus ; qu’ils voient, mon Dieu, que vous m’avez secouru et que vous m’avez consolé ; » — c’est ce jour-là que Dieu sort de son secret, et qu’on entend, — qu’on entendit tout près de soi cette Voix sainte et terrible !… Le miracle de la Sainte-Épine fut le coup de tonnerre qui suspendît tout. Comme il est loin de faire sur nous aujourd’hui le même effet qu’il fît sur les intéressés et en général sur les contemporains, nous nous bornerons d’abord à écouter les témoins les plus fidèles. Dans ces lettres de la mère Angélique où les Provinciales sont à peine mentionnées, le miracle tient une grande place. Laissons parler cette humble et grande âme dans toute sa simplicité :

« Je sais, Madame, écrivait-elle vers le commencement de mai 1656 à la Reine Marie de Gonzague, je sais que la bonté de Votre Majesté pour nous lui a fait prendre part à