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LIVRE TROISIÈME.

en certains pays, les maisons qu’ils fondent, les collèges qu’ils bâtissent, je répondrai d’un mot par une similitude : on a vu des hommes d’un vrai génie, qui, après avoir eu une attaque d’apoplexie foudroyante, paraissent revenir à la vie, qui donnent des signes toujours d’une grande activité physique, et même d’une certaine finesse qui a survécu. Mais le génie, où est-il ? mais les vraies affaires, les leur confie-t-on ? Un homme de génie qui a eu une attaque d’apoplexie, et qui n’est plus qu’un homme d’esprit qui engraisse, voilà, si vous le voulez, l'image du dernier âge de la Société (Imago novissimi Seculi). Mettez-le en regard de l’Image du premier Siècle, tel qu’ils se le retraçaient avec Jubilation en 1640[1], et dites si ce n’est pas une mort.

Que les Jésuites essayent jamais, en un lieu du monde qui compte, de ressaisir l’ombre du passé et d’oser plus qu’ils ne peuvent, à l’instant la plaie des Provinciales toute grande se rouvrira, et ils y rendront encore une fois leur âme.

L’écrivain qui entama le premier et causa le plus directement cette destruction d’un si grand, si habile et si redoutable Corps, fit certes preuve d’un rare courage, d’un cœur héroïque. N’essayèrent-ils donc pas, ne le pouvant écraser, de le réfuter de bonne heure et publiquement par quelque écrit de marque et qui balançât le succès ? Entre toutes leurs plumes, n’en trouvèrent-ils pas une seule qui s’aiguisât un peu vivement sous leur canif, comme disait Launoi ?

Le Père Daniel, le premier qui se soit avisé de répondre au long et en règle à Pascal après quarante ans d’intervalle[2], se pose la même question dans ses En-

  1. Imago primi Seculi Societatis Jesu, fameux livre que les Jésuites de Flandre composèrent en l’honneur de la Société, pour solenniser son centième anniversaire.
  2. On trouverait bien dans les Sermons de Bourdaloue, à dater