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PORT-ROYAL.

Pour dernier ricochet, ce livre du Père Daniel suggéra à mademoiselle de Joncoux, docte et zélée Janséniste, la pensée de traduire en français Nicole-Wendrock, c’est-à-dire les Notes et Dissertations latines dont Nicole avait flanqué Pascal, et cette traduction, revue par M. Louail, parut en 1700 (ou fin de 1699) ; elle eut du succès[1].


    qui ne sont point en usage en France. » Si jamais pareil honneur nous arrivais : d’être mis à l’Index, nous n’aurions pas à nous défendre autrement.

  1. Elle eut du succès est trop peu dire. Mademoiselle de Joncoux excita un véritable enthousiasme parmi les amis de Port-Royal pour ce sérieux travail entrepris et mené à bien par une femme. M. Vuillart écrivait à M. de Préfontaine, le 15 octobre 1699 : « Vous aurez bientôt, Monsieur, une excellente et très-naturelle version françoise des notes de Wendrock en 3 vol. in-12… C’est une nouvelle bombe qui tombe sur la Société (de Jésus). Ce qui est plus humiliant pour elle, c’est qu’on assure que c’est une nouvelle Débora qui porte ce coup aux ennemis du peuple de Dieu, une personne du sexe étant, dit-on, auteur de cette version. Je tâcherai que cela parte mercredi prochain. J’en lus hier la Préface, composée de ce qu’il y a de meilleur dans les trois préfaces de l’édition latine. Ce précieux élixir est un chef-d’œuvre et pour les choses et pour le style. » Dans une lettre suivante, du 28 janvier 1700, M. Vuillart s’étend davantage et déborde en louanges sur le sujet de mademoiselle de Joncoux : « Si Dieu vous amène ici à ce printemps, Monsieur (écrit-il au même ami), il ne tiendra qu’à vous de ne vous en pas retourner dans votre solitude, sans avoir connu la traductice (sic) dont l’ouvrage vous fait tant de plaisir. Elle a l’esprit solide et net, pénétrant et vif, agréable et naturel. Elle est simple et modeste, craint autant d’être connue qu’une autre d’un bien moindre talent le pourrait désirer. Elle a l’esprit fort cultivé par l’étude des belles lettres et de la belle philosophie. Elle a le goût fin et le discernement juste. Il n’y a que ses amis bien particuliers qui connoissent tout ce qu’elle vaut. Et ce qui me revient et m’édifie, c’est sa piété. Elle en a beaucoup et de celle surtout que l’on sent, même avant qu’on l’apprenne, selon le beau mot de saint Cyprien, quæ sentitur, antequam discitur, et qui est celle qu’on reçoit dans l’école du Saint-Esprit, ubi docet unctio. Elle est fort disciple de cette incomparable maîtresse. Au reste, rien n’est plus uni et plus aisé que son air et toutes ses manières. Elle est franche et a toujours le cœur sur les lèvres. Elle aime bien ses amis et leur est