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LIVRE TROISIÈME.

sonnellement très-respectable, très-réellement pieux, et d’une bonne foi attestée de tous ceux qui l’ont connu, bien que des violences excessives d’expression rendent cette qualité en lui quelquefois difficile à comprendre. L’humeur a une grande part jusque dans sa doctrine. Je reviendrai ici sur les traits que je crois essentiels, et que sa polémique contre le Jansénisme remet à nu.

Bien qu’étranger à la France, bien que toujours absent de la France, c’est pour elle, c’est pour la grande Lutèce que de Maistre écrit. Il ne le croit peut-être pas, il se piquera peut-être même du contraire. Illusion pure ! Il pense à Athènes du haut de ses monts de Thessalie, ou du fond de sa Scythie : il ne veut pas la flatter, dira-t-il ; il veut l’insulter, l’offenser, la scandaliser. C’est toujours s’occuper d’Athènes.

Celle-ci, je crois l’avoir remarqué déjà, qui aime avant tout qu’on s’occupe d’elle, fut-ce pour l’insulter st pour la battre (pourvu qu’on l’amuse), celle-ci s’est montrée reconnaissante. Certes, M. de Maistre a beaucoup choqué en France de prime abord : il a choqué d’autant plus que, n’étant pas Français, et ayant à sa date les opinions les plus anti-françaises qui se puissent imaginer, il y joint le style le plus à la française, et qu’il s’est trouvé tout d’abord un grand écrivain d’ici avec des idées de l’autre pôle[1]. Il a introduit l’en-

  1. À un ami qui l’engageait, pour ne pas tant choquer, à ménager davantage les personnes, tout en se donnant carrière sur les opinions, de Maistre répondait : « Soyez bien persuadé, Monsieur, que ceci est une illusion française. Nous en avons tous, et vous m’avez trouvé assez docile, en général, pour n’être pas scandalisé si je vous dis qu’on n’a rien fait contre les opinions tant qu’on n’a pas attaqué les personnes. Je ne dis pas cependant que dans ce genre, comme dans un autre, il n’y ait beaucoup de vérité dans le proverbe : À tout seigneur tout honneur, ajoutons seulement sans esclavage. Or, il est très-certain que vous avez