Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
303
LIVRE TROISIÈME.

tendue de son siècle, écrivait en 1696 : « Plût à Dieu que tout le monde fût au moins Déiste, c’est-à-dire bien persuadé que tout est gouverné par une souveraine Sagesse ! » — Le dix-septième siècle, considéré selon une certaine perspective, laisse voir l’incrédulité dans une tradition directe et ininterrompue ; le règne de Louis XIV en est comme miné. La Fronde lui lègue un essaim de libres esprits émancipés, épicuriens ardents et habiles, les Lionne, les Retz[1] ; de vrais originaux du Don Juan ; la Palatine, Condé, et le médecin-abbé Bourdelot complotant, en petit comité, pour brûler un morceau de la Vraie Croix[2] ; Ninon, Saint-Évremond, Saint-Réal ; les poètes Hesnault, Lainez et Saint-Pavin ; Méré[3], Mitton[4] et Des Barreaux ; madame Des Houlières, que Bayle a pu rattacher par un bout à Spinosa[5]. À un

  1. De ces hommes, par exemple, comme le secrétaire du Cabinet Rose, de qui il est dit, après maint trait caractéristique (voir les articles de Dangeau publiés par Lemontey), qu’il était plaisant, gai, salé, et croyant peu de chose. Ce bonhomme Rose, qui avait été au cardinal Mazarin, ne mourut qu’en 1701, à plus de quatre-vingts ans, donnant ainsi la main aux deux siècles. Il y en eut plus d’un de la même trempe.
  2. On ajoute que, malgré tous leurs efforts, ils n’en purent venir à bout, et que cela même contribua à la conversion de la princesse Palatine. Le fait est qu’il y a loin encore de cette jeune incrédulité, qui tente le sacrilège, à l’indifférence finale qui n’essaye même pas. Après tout, ces esprits-forts qui mettaient tant de prix à un brûlement de Vraie Croix, étaient bien du même temps que ces autres grands esprits qui croyaient à la guérison par la Sainte-Épine.
  3. Sur le chevalier de Méré, voir à l’Appendice.
  4. Sur ce Mitton, ami de Méré et qu’on a mis du temps à bien connaître, ne pas oublier de voir les passages qui le concernent dans les lettres de Matthieu Marais au président Bouhier (Mémoires de Matthieu Marais, tome III, p. 470-473, 476, 480). « Il croyoit en Dieu par bénéfice d’inventaire, et avoit fait un petit Traité de l’Immortalité de l’Âme qu’il montroit à ses amis et leur disoit à l’oreille qu’il étoit de la Mortalité. »
  5. Un petit fait positif en dira plus que tous les raisonnements et les aperçus. La fille de madame Des Houlières, personne dis-