Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/330

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
320
PORT-ROYAL.

En même temps que sa santé allait de crise en crise se détruisant, la charité du pénitent et déjà presque du saint, son amour de la pauvreté, sa rigueur pour lui-même, et son soin de mater toute pensée trop fière ou trop tendre, s’excitaient et croissaient sans mesure. Les témoignages que nous en a transmis madame Périer sont en partie sublimes, en partie formidables. C’est dans son simple et naïf récit qu’il faut apprendre à connaître l’homme ; et je ne saurais que répéter l’impression d’un bon juge qui me disait : « On ne peut lire cette Vie de Pascal par sa sœur sans en devenir malade ; c’est chez lui une passion si grande, une foi si belle, qu’on est désolé et enchanté. » Mais, jusque dans l’attendrissement qu’on éprouve, le sentiment pénible a une grande part, et il s’élève comme un violent murmure en nous du bon sens et de la nature. Je ne veux rien dissimuler ; j’oserai suivre, même dans les excès révoltants, cette vertu de Spartiate chrétien qui ne se pouvait payer à trop haut prix :

« Les conversations auxquelles il se trouvoit souvent engagé, nous dit sa sœur, quoiqu’elles fussent toutes de charité, ne laissoient pas de lui donner quelque crainte qu’il ne s’y trouvât du péril ; mais comme il ne pouvoit pas aussi en conscience refuser le secours que les personnes lui demandoient, il avoit trouvé un remède à cela. Il prenoit dans ces occasions une ceinture de fer pleine de pointes ; il la mettoit à nu sur sa chair, et lorsqu’il lui venoit quelque pensée de vanité, ou qu’il prenoit quelque plaisir au lieu où il étoit, ou quelque chose semblable, il se donnoit des coups de coude pour redoubler la violence des piqûres, et se faisoit ainsi souvenir lui-même de son devoir. Cette pratique lui parut si utile, qu’il la conserva jusqu’à la mort, et même dans les derniers temps de sa vie, où il étoit dans des douleurs continuelles. Parce qu’il ne pouvoit écrire ni lire, il étoit contraint de demeurer sans rien faire et de s’aller promener : il étoit dans une continuelle crainte que ce manque d’occupation ne le détournât de ses vues. Nous n’avons su toutes