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PORT-ROYAL.

elle songe particulièrement à lui en ce moment, et veut lui faire honte de son essai d’équivoque[1] ; puis elle continue :

« Vous me direz peut-être que cela ne nous regarde point, à cause de notre petit Formulaire particulier ; mais… saint Bernard nous apprend, dans ses manières admirables de parler, que la moindre personne de l’Église non-seulement peut, mais doit crier de toutes ses forces, lorsqu’elle voit les Évêques et les Pasteurs de l’Église dans l’état où nous les voyons, quand il dit : Qui peut trouver mauvais que je crie, moi qui suis une petite brebis, pour tâcher d’éveiller mon Pasteur que je vois endormi et prêt à être dévoré par une bête cruelle ? Quand je serois assez ingrate pour ne le pas faire par l’amour que je lui porte et la reconnoissance que je lui dois, ne dois-je pas le faire par la crainte de mon propre péril ? car qui me défendra quand mon Pasteur sera dévoré ?…
« Je sais bien que ce n’est pas à des filles à défendre la Vérité, quoique l’on peut dire, par une triste rencontre, que, puisque les Évêques ont des courages de filles, les filles doivent avoir des courages d’Évêques ; mais si ce n’est pas à nous à défendre la Vérité, c’est à nous à mourir pour la Vérité….
«… Chacun sait, et M. de Saint-Cyran le dit en mille lieux, que la moindre vérité de la Foi doit être défendue avec autant de fidélité que Jésus-Christ,…
«… C’est ici plus que jamais le temps de se souvenir que les timides sont mis au même rang que les parjures et les exécrables… »

Tout le reste est de ce ton ; le nom et les maximes de Saint-Cyran reviennent et revivent manifestement dans cette lettre ; nous nous retrouvons en plein Port-Royal primitif, — avec une seule petite différence cependant.

  1. Dans la lettre d’envoi, écrite le lendemain, et qui servait d’explication à la précédente, elle recommande, il est vrai, à M. Arnauld de ne montrer ces deux lettres à son frère que s’il se porte bien ; mais, dans le premier feu de son transport, elle écrivait comme s’il la lisait déjà.