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LIVRE TROISIÈME.

humanité mobile, un instant de libre et perçant examen :

« L’art de fronder et bouleverser les États est d’ébranler les coutumes établies, en sondant jusque dans leur source pour marquer leur défaut de justice. Il faut, dit-on, recourir aux lois fondamentales et primitives de l’État, qu’une coutume injuste a abolies : c’est un jeu sûr pour tout perdre ; rien ne sera juste à cette balance. Cependant le peuple prête aisément l’oreille à ces discours. Il secoue le joug dès qu’il le reconnoit ; et les Grands en profitent à sa ruine et à celle de ces curieux examinateurs des coutumes reçues…»

Dans ces paroles et dans celles qu’on peut lire tout à côté, on tient la politique de Pascal ; elle se rapporte à celle de Machiavel, prise au meilleur sens : c’est la politique la plus dépouillée du lieu commun. Que Pascal en son temps, comme Montaigne dans le sien, ait été royaliste, et qu’il l’ait été par souci même de l’intérêt du peuple et par mépris de l’ambition dépravée des Grands, il n’y a pas de quoi étonner. Mais il va plus loin que Montaigne[1] ; il découvre et marque sans hésiter, et avec une hardiesse qui de tout temps a été donnée à bien peu de philosophes, le fondement même de l’édifice social, tel que ce fondement a été constitué durant des siècles depuis l’origine, et tel qu’on se flatte de l’avoir totalement renversé et retourné de nos jours. Aujourd’hui la prétention est de tout refaire par raison. Pascal montre avant tout le fait, qui se recouvre ensuite de droit comme il peut, et qui, une fois recouvert, devient justement respectable. Là même où la pluralité lui paraît la meilleure voie, c’est, dit-il, « parce qu’elle est visible et qu’elle a la force pour se faire obéir : cependant c’est l’avis des moins habiles. »

  1. Se rappeler la pensée qui commence ainsi : « Montaigne a tort : la coutume, etc. »