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PORT-ROYAL.

c’en est la marque[1]. — » Mais ce soin du naturel dans le discours ne va pas jusqu’au négligé et à l’indifférent. Le naturel franc et vif lui donne l’expression propre, unique, nécessaire, sans laquelle le sens perd son crédit : « Un même sens, dit-il, change selon les paroles qui l’expriment. Les sens reçoivent des paroles leur dignité, au lieu de la leur donner. »

On a dans ce petit nombre d’articles l’esprit de la rhétorique de Pascal : elle est d’avance conforme à celle de Despréaux et de La Bruyère ; elle représente celle de Montaigne, sauf plus d’ordonnance et de sobriété, celle aussi que Molière pratiquait quant au naturel ; mais elle en diffère par le châtié, le concis, et par une certaine fuite du poétique, que Pascal jugeait en guerre avec la nature. Elle est presque en tout l’opposé du procédé de Balzac et de ses pareils, de ceux qui font des antithèses en forçant les mots, comme on fait de fausses fenêtres pour la symétrie[2].

  1. César de même : « Ce grand homme, a-t-on dit, étoit persuadé que la beauté du langage dépend beaucoup plus d’user des meilleurs mots que de les diversifier ; et s’il étoit content d’une expression, il ne s’en lassoit point, et ne craignoit pas non plus d’en lasser les autres. Cicéron prenoit le contre-pied ; car, pour sauver les répétitions, il cherchoit tous les détours de son latin. » (Méré, Œuvres posthumes, page 45.)
  2. Le Balzac se glisse quelquefois là où l’on s’y attendrait le moins. L’estimable François de Neufchâteau, dans un bon travail sur les Provinciales, voulant citer en l’honneur de Pascal un passage latin de Nicole qui finit par ces mots : « … Adeo ex fecundissimæ mentis sinu subinde cogitationes novae aliae aliis ornatiores efflorescebant ! » le traduit de la sorte : « … Tant il sortait à l’envi, du sein de cette âme si féconde, des pensées nouvelles qui se présentaient en foule, et qui étaient toutes plus fleuries et plus ornées les unes que les autres ! » Quoiqu’il s’agisse là des Provinciales et non des Pensées, Nicole m’a bien l’air d’avoir accordé un peu à la phrase par son ornatiores ; rien n’est moins orné que Pascal. Quant à l’efflorescebant, c’est une élégance pour dire tout simplement erant ; et le naïf François de Neufchâteau en a fait un vrai contresens avec cette foule de pensées fleuries.