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LIVRE TROISIÈME.

Pascal d’ailleurs semble avoir tenu aux règles, telles qu’il les entendait, et ne les avoir pas crues inutiles à diriger le goût : « Ceux qui jugent d’un ouvrage par règle sont, à l’égard des autres, comme ceux qui ont une montre à l’égard de ceux qui n’en ont point. » Mais il pensait cela des règles toutes vives, de celles qu’on avait trouvées soi-même, et qui étaient une réflexion toujours présente de l’esprit. Sa montre, en un mot, était une montre qu’il fallait toujours être en état, je ne dis pas seulement de monter, mais de refaire et de réparer.

C’est la première fois que nous trouvons à Port-Royal, et chez l’un de nos écrivains, l’art ainsi posé, défini, pratiqué. Jusque-là rien de tel. M. Le Maître au plus, qui était originairement de l’école académique, essayait, pour les traductions, de poser certaines règles d’élégance : M. de Saci, plus rigide, lui conseillait d’être moins délicat, et nous avons vu tous les préceptes, si chrétiens à la fois et si peu littéraires, qu’adressait M. de Saint-Cyran à ceux qui se croyaient appelés à écrire pour la vérité[1]. Il y aurait moyen pourtant de démontrer qu’il n’y a pas contradiction ici entre Saint-Cyran et Pascal, et que ce dernier a concilié le sérieux du Chrétien avec les scrupules de l’écrivain :

« Chrétiennement, en effet, il est bien certain, dirait-on, que la parole a dû se ressentir de la Chute, comme toute chose dans l’homme, et plus que toute chose, étant si inséparable de l’essence même de la pensée. Aussi nous ne parlons pas le plus souvent, nous balbutions. Combien de fois notre pensée, qui semble vouloir naître, s’embarrasse dans nos paroles et n’en sort pas ! Ou si l’on parle bien, si l’on a l’air de bien parler, c’est souvent que les mots vont tout seuls, qu’ils

  1. Précédemment, au tome II, pages 43, 84, etc.