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LIVRE TROISIÈME.

resta vide[1]. La suite fut pur coup d’État. Cependant la première Lettre à un Provincial, publiée le 23 janvier 1656, nous dispense de continuer le récit en notre nom. C’est Pascal qui prend la parole et qui achève.

On a bien saisi toute la marche jusqu’ici : l’affaire est perdue en Sorbonne ; il ne s’agit plus de cela, mais du public ; c’est sur ce terrain que la partie va se reprendre, et là, du premier coup, se gagner.

La curiosité depuis deux mois était en effet extrême ; le mouvement inaccoutumé des assemblées faisait l’entretien de tout Paris. Les détails de chaque séance se répandaient à l’instant. Le cardinal Mazarin, dès les premiers jours, avait dit à l’évêque d’Orléans, M. d’Elbène, qu’il fallait accommoder et presser cette affaire ; que les femmes ne faisaient qu’en parler, quoiqu’elles n’y entendissent rien, non plus que lui. Mais ce que tout le monde entendait bien, c’était la présence du Chancelier, et ses six huissiers à la chaîne, et ses deux archers, hallebarde en main, et l’anecdote de M. de Rhodez, avec la culbute de son bonnet et de son confrère.

La Reine avait dit tout haut un jour, à la princesse de Guemené, au cercle du Louvre : Vos docteurs parlent trop. À quoi madame de Guemené avait assez aigrement répondu : « Vous ne vous en souciez guère, Madame, car vous ferez venir tant de Cordeliers et de Moines mendiants, que vous en aurez de reste. » — « Nous en faisons encore venir tous les jours, » répliqua sèchement la Reine.

C’est à tout ce public plus ou moins mondain ou docte, et tel que nous le voyons encore dans les Let-

  1. « On fut très-surpris ce jour-là (24 janvier) de voir la salle peu remplie ; et ce qui marquoit davantage, c’est que, dans les précédentes assemblées, les places s’étoient disposées de telle manière que ceux qui étoient favorables à M. Arnauld avoient affecté d’occuper toujours un côté de la salle, et les Molinistes l’autre côté… » (Relation manuscrite de Beaubrun.)