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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/549

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LIVRE QUATRIÈME.

Grammaire et à la raison : « Car il seroit facile de faire voir, ajoute Lancelot, que les exemples les plus recherchés qu’il rapporte ont leur fondement, et qu’encore que l’usage soit le maître des langues pour ce qui est de l’analogie, le discours n’étant néanmoins que l’image de la pensée, il ne peut pas former des expressions qui ne soient conformes à leur original pour ce qui est du sens, et par conséquent qui ne soient fondées sur la raison. » C’est là l’endroit notable par où Port-Royal se distingue essentiellement de l’Académie et des autres grammairiens du temps, Vaugelas, Ménage, Patru, Bouhours, tout occupés des mots, du détail des exemples, et ne se formant aucune philosophie du discours.

Port-Royal, grâce à l’excellent instrument philosophique dont disposait Arnauld, développa en grammaire générale une branche du Cartésianisme que Descartes n’avait pas lui-même poussée : à savoir, l’étude, l’analyse de la langue en général, supposée inventée par la seule raison. Cette branche cartésienne, implantée et naturalisée à Port-Royal, dépassait un peu l’ordre habituel d’idées du dix-septième siècle, et devançait les travaux du dix-huitième, dans lequel elle devait se continuer directement par Du Marsais, Duclos, Condillac, et par le dernier et le plus vigoureux peut-être de ces grammairiens philosophes, M. de Tracy.

Nous arriverions à cette conséquence remarquable, mais rigoureuse : M. de Tracy est le disciple direct d’Arnauld… en grammaire générale.

Le savant idéologue, saluant avec respect « MM. de Port-Royal, dont on ne peut assez admirer, dit-il, les rares talents, et dont la mémoire sera toujours chère aux amis de la raison et de la vérité[1], » regrette que,

  1. N’admirez-vous pas comme les mêmes mots expriment des choses toutes différentes ? L’opinion finit par faire ce qu’elle veut