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LIVRE QUATRIÈME.

Juger. — C’est l’action de l’esprit par laquelle, joignant ensemble diverses idées, il affirme de l’une qu’elle est l’autre, ou le nie. Tel est le jugement, la proposition, qui suppose les mots et les parties du discours. La Grammaire générale se retrouve ici à sa vraie racine.

Raisonner. — C’est l’action de l’esprit par laquelle il forme un jugement résultant de plusieurs autres. Cette partie, qui comprend les règles du raisonnement et en particulier le syllogisme, était réputée jusqu’alors la plus importante de la Logique. Port-Royal doute qu’elle soit aussi utile qu’on se l’imagine ; car la plupart des erreurs des hommes viennent bien plus de ce qu’ils raisonnent sur de faux principes, que de ce qu’ils raisonnent mal suivant leurs principes[1]. Quoi qu’il en soit, au moins comme exercice de l’esprit, et au besoin dans certaines rencontres, cette portion de la Logique peut être de quelque usage : « Voilà donc, ajoute Port-Royal, ce qu’on en dit ordinairement, et quelque chose même de plus que ce qu’on en dit… »

Ordonner. — C’est la méthode, l’action de l’esprit par laquelle il dispose et gouverne dans un but soit d’invention, soit de démonstration, un ensemble de raisonnements, de jugements, d’idées.

La Logique ou l’Art de penser est une suite de réflexions claires et sensées sur ces quatre modes d’opérations de l’esprit.

Le caractère dominant de tout l’ouvrage est la modé-

  1. Remarque aussi simple que féconde : et pourtant Port-Royal n’avait pas vu à l’œuvre tous nos esprits mathématiques, polytechniques, soi-disant positifs, tous ceux qu’on a spirituellement appelés de bons esprits faux. — Ce qu’il y a de piquant, c’est que le duc de Chevreuse, pour qui fut faite la Logique, paraît avoir été d’avance un échantillon de ces esprits-là. (Voir la Correspondance de Fénelon avec lui.)