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PORT-ROYAL.

moiselle de Scudéry, il est bien évident que le premier billet doit être aussi d’un personnage réel, et il n’est pas difficile de conjecturer de qui, vraisemblablement, il peut être. Quel est, en effet, l’académicien qu’on pouvait, à cette date, désigner comme des plus illustres entre ces hommes tous illustres et à qui cette emphase même, cette solennité d’éloge ne déplaisait pas ? Balzac était mort ; Gomberville, sur le compte duquel de méchants connaisseurs avaient d’abord essayé de mettre les Provinciales, était plus occupé à s’en justifier qu’à les louer. Je ne vois guère que Chapelain qui ait pu écrire le majestueux billet qui faisait, à ce point, autorité. Il était, on le sait, fort en correspondance avec M. d’Andilly. Le style du billet ne dément pas la supposition, mais bien plutôt la confirme :

« Je voudrois que la Sorbonne, qui doit tant à la mémoire de feu monsieur le Cardinal, voulût reconnoitre la juridiction de son Académie françoise : l’auteur de la Lettre seroit content ; car en qualité d’académicien, je condamnerois d’autorité, je bannirois, je proscrirois, peu s’en faut que je ne die, j’exterminerois de tout mon pouvoir ce pouvoir prochain qui fait tant de bruit pour rien et sans savoir autrement ce qu’il demande. Le mal est que notre pouvoir académique est un pouvoir fort éloigné et borné ; j’en suis marri, et je le suis encore beaucoup de tout ce que mon petit pouvoir ne sauroit m’acquitter envers vous, etc. »

« La plaisanterie, on le voit, est bien assez compassée et assez lourde pour être de Chapelain, et pour n’être que de lui.
« Au moment où les Provinciales commencèrent à paraître, en 1656, les deux plus grandes autorités littéraires universellement reconnues et régnantes étaient Chapelain et mademoiselle de Scudéry : celle-ci avait la vogue, et l’autre le poids. C’était donc un coup d’art et d’habileté à Pascal de les mettre pour soi tout d’abord, de les intéresser et de les envelopper, pour ainsi dire, dès le premier jour dans son succès, — dût-on ensuite, et le moment passé, ne pas trop expliquer ce qui devenait obscur et ne pas se vanter de les avoir loués. »

— Cette Note, insérée dans le Bulletin du Bibliophile, et où je plaide en avocat convaincu pour une opinion qui me paraît très-probable, m’a valu une réfutation de M. l’abbé Flottes (Montpellier, 1858). Cet écrivain fort instruit, mais qui paraît craindre, en général, qu’on n’apporte quelque aperçu nouveau dans les sujets qu’il traite, s’est attaché à me contredire sur ce point comme il a déjà fait sur d’autres. Je ne ferai qu’une dernière observation pour réponse. La thèse de l’abbé Flottes, dans le cas présent, en la dégageant de toutes les arguties et de l’appareil d’école dont il l’a revêtue et compliquée selon ses habitudes (car il est un peu ergoteur), consiste à infirmer l’autorité de Racine et à récuser son témoignage en ce qui est de mademoiselle de Scudéry, Mais Racine, en ce temps précisément des Provinciales (1656-1657), écolier à Port-Royal des Champs, et écolier des plus avancés, élève de Lancelot, de M. Le Maître, cousin de ce M. Vitart qu’on a vu si mêlé et si présent à la naissance des Provinciales, devait être fort curieux et très-bien informé ; il a dû questionner autour de lui pour tout ce