Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/105

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seuls portaient la moustache. Il était doux et poli ; sa folie était une mélancolie profonde, une sorte de préoccupation solennelle. Jamais un sourire, le calme d’un désespoir ou d’un ennui sans bornes. Il arrivait seul à toute heure du jour, et nous remarquions avec surprise que les chiens, qui étaient fort méchans, aboyaient de loin après lui, s’approchaient avec méfiance pour flairer ses habits et se retiraient aussitôt, comme s’ils eussent compris que c’était un être inoffensif et sans conséquence. Lui, sans faire aucune attention aux chiens, entrait dans la maison ou dans le jardin, et bien qu’avant sa folie il n’eût jamais eu aucune relation avec nous, il s’arrêtait auprès de la première personne qu’il rencontrait, lui disait une ou deux paroles et restait là plus ou moins longtemps, sans qu’il fût nécessaire de s’occuper de lui. Quelquefois il entrait chez ma grand’mère sans frapper, sans songer à se faire annoncer, lui demandait très poliment de ses nouvelles, répondait à ses questions qu’il se portait fort bien, prenait un siége sans y être invité, et demeurait impassible, pendant que ma grand’mère continuait à écrire ou à me donner ma leçon. Si c’était la leçon de musique, il se levait, se plaçait debout derrière le clavecin, et y restait immobile jusqu’à la fin.

Lorsque sa présence devenait gênante, on lui disait : « Eh bien, monsieur Demai, désirez-vous quelque chose ? — Rien de nouveau, répondait-il, je