Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/244

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suis dit : « Oh ! cette fois, c’est bien réussi ! » Mais, hélas, je n’ai jamais pu relire l’épreuve sans me dire : « Ce n’est pas du tout cela, je l’avais rêvé et senti, et conçu tout autrement ; c’est froid, c’est à côté, c’est trop dit et ce n’est pas assez. » Et si l’ouvrage n’avait pas toujours été la propriété d’un éditeur, je l’aurais mis dans un coin avec le projet de le refaire, et je l’y aurais oublié pour en essayer un autre.

Je sentis donc, dès la première tentative littéraire de ma vie, que j’étais au-dessous de mon sujet et que mes mots et mes phrases le gâtaient pour moi-même. On envoya à ma mère une de mes descriptions pour lui faire voir comme je devenais habile et savante : elle me répondit : « Tes belles phrases m’ont bien fait rire, j’espère que tu ne vas pas te mettre à parler comme ça. » Je ne fus nullement mortifiée de l’accueil fait par elle à mon élucubration poétique : je trouvai qu’elle avait parfaitement raison, et je lui répondis : « Sois tranquille, ma petite mère, je ne deviendrai pas une pédante, et quand je voudrai te dire que je t’aime, que je t’adore, je te le dirai tout bonnement comme le voilà dit. »

Je cessai donc d’écrire ; mais le besoin d’inventer et de composer ne m’en tourmentait pas moins. Il me fallait un monde de fictions, et je n’avais jamais cessé de m’en créer un que je portais partout avec moi, dans mes promenades, dans mon immobilité, au jardin, aux champs,