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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/272

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de novice en stoïcisme, et il m’emmenait voir nos champs et nos prés, assurant que je devais me mettre au courant de ma fortune et que je ne pouvais de trop bonne heure me rendre compte de mes dépenses et de mes recettes. Il me disait : « Voilà un morceau de terre qui vous appartient. Il a coûté tant, il vaut tant, il rapporte tant. » Je l’écoutais d’un air de complaisance ; et lorsqu’au bout d’un instant il voulait me faire répéter ma leçon de propriétaire, il se trouvait que je ne l’avais pas entendue, ou que je l’avais déjà oubliée. Ses chiffres ne me disaient rien, je savais très bien dans quel blé poussaient les plus belles nieilles et les plus belles gesses sauvages, dans quelle haie je trouverais des coronilles et des saxifrages, dans quel pré des mousserons ou des morilles, sur quelles fleurs, au bord de l’eau, se posaient les demoiselles vertes et les petits hannetons bleus ; mais il m’était impossible de lui dire si nous étions sur nos terres ou sur celles du voisin, où était la limite du champ, combien d’ares, d’hectares ou de centiares renfermait cette limite, si la terre était de première ou de troisième qualité, etc. Je le désespérais, j’étouffais des bâillemens spasmodiques, et je finissais par lui dire des folies qui le faisaient rire et gronder en même temps. « Ah ! pauvre tête, pauvre cervelle ! disait-il en soupirant. C’est absolument comme son père ; de l’intelligence pour certaines choses inutiles et brillantes, mais néant en fait de