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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/317

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avait vécu humble, triste et retirée. Ce dernier point, je le savais bien, du moins je croyais le savoir ; mais on me faisait entendre que si l’on me disait tout le passé, on m’épargnait le présent, et qu’il y avait, dans la vie actuelle de ma mère, quelque secret nouveau qu’on ne voulait pas me dire et qui devait me faire trembler pour mon propre avenir si je m’obstinai à vivre avec elle. Enfin, ma pauvre bonne maman, épuisée par ce long récit, hors d’elle-même, la voix étouffée, les yeux humides et irrités, lâcha le grand mot, l’affreux mot : Ma mère était une femme perdue, et moi un enfant aveugle qui voulait s’élancer dans un abîme.

Ce fut pour moi comme un cauchemar ; j’avais la gorge serrée, chaque parole me faisait mourir : je sentais la sueur me couler du front, je voulais interrompre, je voulais me lever, m’en aller, repousser avec horreur cette effroyable confidence ; je ne pouvais pas, j’étais clouée sur mes genoux, la tête brisée et courbée par cette voix qui planait sur moi et me desséchait comme un vent d’orage. Mes mains glacées ne tenaient plus les mains brûlantes de ma grand’mère, je crois que machinalement je les avais repoussées de mes lèvres avec terreur.

Enfin je me levai sans dire un mot, sans implorer une caresse, sans me soucier d’être pardonnée ; je remontai à ma chambre. Je trouvai Rose sur l’escalier. « Eh bien ! me dit-elle,