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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/460

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chacune dans la mesure de respect ou d’empressement réservée à sa qualité. On figurait aussi le prince, le duc, le marquis, le comte, le vicomte, le baron, le chevalier, le président, le vidame et l’abbé. M. Abraham faisait tous ces rôles et venait saluer chacune de nous, afin de nous apprendre comment il fallait répondre à toutes ces révérences, reprendre le gant ou l’éventail offert, sourire, traverser l’appartement, s’asseoir, changer de place : que sais-je ! Tout était prévu, même la manière d’éternuer, dans ce code de la politesse française. Nous pouffions de rire, et nous faisions exprès mille balourdises pour le désespérer. Puis, vers la fin de la leçon, pour le renvoyer content, le brave homme (car il y avait barbarie à contrarier tant de douceur et de patience), nous affections toutes les grâces et toutes les mines qu’il nous demandait. C’était pour nous une comédie que nous avions bien de la peine à jouer sans lui rire au nez, mais qui nous apprenait à jouer la comédie tant bien que mal. Il faut croire que la grâce du temps du père Abraham était bien différente de celle d’aujourd’hui : car, plus nous nous rendions à dessein ridicules et affectées, plus il était satisfait, plus il nous remerciait de notre bonne volonté.

Malgré tant de soins et de théorie, je me tenais toujours voûtée, j’avais toujours des mouvemens brusques, des allures naturelles, l’horreur des gants et des profondes révérences. Ma bonne