Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/714

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Je m’isolais donc, par la volonté, à dix-sept ans, de l’humanité présente. Les lois de propriété, d’héritage, de répression meurtrière, de guerre litigieuse ; les priviléges de fortune et d’éducation ; les préjugés du rang et ceux de l’intolérance morale : la puérile oisiveté des gens du monde ; l’abrutissement des intérêts matériels ; tout ce qui est d’institution ou de coutume païenne dans une société soi-disant chrétienne, me révoltait si profondément, que j’étais entraînée à protester, dans mon âme, contre l’œuvre des siècles. Je n’avais pas la notion du progrès, qui n’était pas populaire alors, et qui ne m’était pas arrivée par mes lectures. Je ne voyais donc pas d’issue à mes angoisses ; et l’idée de travailler, même dans mon milieu obscur et borné, pour hâter les promesses de l’avenir, ne pouvait se présenter à moi.

Ma mélancolie devint donc de la tristesse, et ma tristesse de la douleur. De là au dégoût de la vie et au désir de la mort il n’y a qu’un pas. Mon existence domestique était si morne, si endolorie, mon corps si irrité par une lutte continuelle contre l’accablement, mon cerveau si fatigué de pensées sérieuses trop précoces, et de lectures trop absorbantes aussi pour mon âge, que j’arrivai à une maladie morale très grave : l’attrait du suicide.

À Dieu ne plaise que j’attribue cependant ce mauvais résultat aux écrits des maîtres