Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/257

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dirons que phlóg- « flamme » est un thème à suffixe zéro. Aucune confusion n’est possible : le radical reste distinct de la racine, même s’il lui est phoniquement identique.

La racine est donc une réalité pour la conscience des sujets parlants. Il est vrai qu’ils ne la détachent pas toujours avec une égale précision ; il y a sous ce rapport des différences, soit au sein d’une même langue, soit de langue à langue.

Dans certains idiomes, des caractères précis signalent la racine à l’attention des sujets. C’est le cas en allemand, où elle a un aspect assez uniforme ; presque toujours monosyllabique (cf. streit-, bind-, haft-, etc.), elle obéit à certaines règles de structure : les phonèmes n’y apparaissent pas dans un ordre quelconque ; certaines combinaisons de consonnes, telles que occlusive + liquide en sont proscrites en finale : werk- est possible, wekr- ne l’est pas ; on rencontre helf-, werd-, on ne trouverait pas hefl-, wedr.

Rappelons que les alternances régulières, surtout entre voyelles, renforcent bien plus qu’elles n’affaiblissent le sentiment de la racine et des sous-unités en général ; sur ce point aussi l’allemand, avec le jeu varié de ses ablauts (voir p. 217), diffère profondément du français. Les racines sémitiques ont, à un plus haut degré encore, des caractères analogues. Les alternances y sont très régulières et déterminent un grand nombre d’oppositions complexes (cf. hébreu qāṭal, qṭaltem, qṭōl, qiṭlū, etc., toutes formes d’un même verbe signifiant « tuer ») ; de plus elles présentent un trait qui rappelle le monosyllabisme allemand, mais plus frappant : elles renferment toujours trois consonnes (voir plus loin, p. 315 sv.).

Sous ce rapport, le français est tout différent. Il a peu d’alternances et, à côté de racines monosyllabiques (roul-, march-, mang-), il en a beaucoup de deux et même trois syllabes (commenc-, hésit-, épouvant-). En outre les formes de ces racines offrent, notamment dans leurs finales, des