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sur les sens

vent très différente, cependant elles ne perçoivent jamais un son en double, comme il nous arrive si souvent de voir double avec nos yeux. Nous sommes ainsi amenés à supposer que les sensations auditives n’ont pas lieu dans le labyrinthe ou le limaçon, mais dans les profondeurs du cerveau, au point où les deux nerfs acoustiques se rencontrent : ce qui fait que l’impression est simple. Or cette rencontre a lieu au point où le pont de Varole embrasse la moelle allongée, c’est-à-dire à un endroit éminemment dangereux, dont la lésion détermine la mort de tout animal. Là, le nerf acoustique n’est qu’à une courte distance du labyrinthe, qui est le siège de l’ébranlement sonore. Et même ce fait que la sensation auditive prend naissance en un endroit si dangereux, d’où partent les mouvements de tous nos membres, explique le tressaillement qui nous saisit, quand nous entendons une détonation soudaine ; ce qui n’a pas lieu quand nous sommes frappés tout à coup par un éclat de lumière, comme l’éclair par exemple. Le nerf visuel sort bien plus en avant de ses thalami (quoique peut-être il prenne naissance derrière ceux-ci) ; dans tout son parcours il est couvert par les lobes antérieurs du cerveau, tout en étant toujours séparé d’eux, jusqu’au moment où il sort entièrement du cerveau, et s’épanouit dans la rétine. C’est là seulement que la sensation se produit au choc de la lumière, et qu’elle a son siège réel, comme je l’ai prouvé dans mon traité sur la vue et les couleurs. Le point où le nerf auditif prend naissance explique donc le grand trouble que les sons apportent dans la pensée ; c’est à cause de ce trouble, que les gens qui réfléchissent et en général les gens intelligents sans exception, ne peuvent supporter le bruit. Cela rompt en effet Je cours normal de leurs pensées ; la réflexion s’arrête au milieu de ce tumulte, parce que l’ébranlement du nerf auditif se propage très avant dans le cerveau, dont la masse tout entière est troublée par la commotion du nerf auditif et les vibrations qu’il produit, et aussi parce que le cerveau de ces gens-là est beaucoup plus excitable que les cerveaux ordinaires. Cette grande mobilité et celle force directrice qu’ont certains cerveaux, nous expliquent comment, chez eux, la moindre pensée éveille aussitôt ses analogues, ou celles qui lui sont associées. C’est pour cela que les ressemblances, les analogies et les rapports des choses les frappent si facilement et si vite. De là vient qu’une même occasion peut se présenter mille et mille fois à des cerveaux ordinaires, elle ne force que certains cerveaux à réfléchir, et les amène à des découvertes, que d’autres s’étonnent ensuite de n’avoir pas faites, parce que, s’ils peuvent sans doute réfléchir après d’autres, ils sont incapables de penser spontanément. Ainsi le soleil luit pour toutes les colonnes ; mais seule la colonne de Memnon en est ébranlée. De même Kant,