Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/147

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avec une certaine fixité qui me fit peur : moi, je souffre. » Et il se retourna vers le fond de l’alcôve et ne parla plus. Je restai muette aussi, retenant mon haleine, immobile près de ce lit qui me paraissait lugubre. Je ne sais si ce moment se prolongea. Il fut pour moi d’une solennité que je n’oublierai jamais. Je venais d’entendre les dernières paroles que mon père devrait m’adresser en ce monde. Je ne le savais pas, et pourtant cette voix si chère m’avait fait mal. Encore aujourd’hui, elle murmure, à demi éteinte, à mon oreille, comme un reproche. Le lendemain il y eut beaucoup d’allées et de venues chez nous. Les voisins arrivaient. On ne me laissa point entrer dans la chambre de mon père. Le médecin de Tours, le Dr  Gourreau, était venu. Il avait parlé très-bas avec le médecin du village ; tout cela me serrait le cœur… Vingt-quatre heures s’écoulèrent. Le troisième jour, 8 octobre, comme j’entrais le matin dans la chambre de ma mère, pour lui souhaiter le bonjour à son réveil : « Prie Dieu pour ton père, me dit-elle, d’un ton grave, Dieu seul peut le sauver à cette heure. » — Je demeurai sans voix et sans pensée. Pendant que ma mère se levait et donnait quelques ordres, je me glissai, sans qu’on me vît, jusqu’à la chambre de mon père. Les médecins l’avaient quittée. La garde était dans la chambre voisine ; je m’approchai du lit. Dieu ! quel spectacle ! Mon père était entré en agonie. Ses